Le Colombier

Cholet, un brisant pour le militantisme de marge


Alors que l’actualité politique et internationale rend propice un engagement de la jeunesse, des militants à la marge du paysage politique tentent de se faire une place sur Cholet (Maine-et-Loire), tant bien que mal.


Cholet l’entreprenante ne serait pas Cholet la militante. Gilles Bourdouleix trône toujours sur le marasme de la politique municipale, bouleversée parfois par une énième polémique du maire. Pourtant, les luttes sociales ne peinent pas à mobiliser : réforme des retraites, législatives anticipées ou fermeture du site de Michelin, toutes ont bien fait écho. Et, malgré l’ombre d’Angers et de Nantes, la ville attire toujours des étudiants. C'est dans ce cadre qu’un nouveau microcosme militant voudrait bien se développer. De l’extrême-gauche révolutionnaire à l’extrême-droite royaliste, les tentatives sont assez notables pour s’y pencher dessus. Faisant de la radicalité (au moins dans leurs idées) une revendication, ils visent principalement la jeunesse et portent des projets de société en opposition à celle établie. Mais ils diffèrent d’autant plus dans leurs actions, leur idéologie et leur portée. Il sera question de trois de ces groupes : La Nouvelle Commune (LNC), souhaitant regrouper plusieurs mouvances révolutionnaires d'extrême-gauche, née à Cholet mais surtout en ligne ; Action Française (AF), mouvement nationaliste et royaliste, de portée nationale et historique dont la section choletaise n’est plus active et les Jeunes Révolutionnaires (JR), organisation non déclarée, reprenant un discours maoïste, implantée dans plusieurs villes de France. À Cholet, la cellule s’est dissoute.

Manifestation contre la reforme des retraites, Cholet

La Nouvelle Commune, ou le décalage entre les réseaux et le terrain


Logo de la Nouvelle Commune

Début novembre 2024, on pouvait découvrir dans l’Ouest France un nouvel arrivant sur Cholet : La Nouvelle Commune (abrégé LNC), représentée par Charles Pires, 21 ans. Elle est avancée comme une confédération politique, rassemblant ceux ayant des “idées de liberté, d’égalité, d’écologie radicale, d’internationalisme, d’inclusivité et d’anticapitalisme”, avec une portée révolutionnaire. En soit, elle se présente comme d’extrême-gauche. En s’y intéressant, on remarque leur présence sur Instagram ou sur X, où ils présentent leur projet et invite à les rejoindre sur Discord. Alors, une fois atterri au milieu du serveur militant, on peut remonter les conversations, et ce jusqu'à la création du groupe. Au-delà d’une organisation politique apparaît surtout un groupe de discussion entre potes s'étant lancé dans un rêve de jeunes adultes politisés. Quant à l’absence totale sur Cholet d’activité de la Nouvelle Commune, elle devient plus claire après avoir conversé avec son délégué en Maine et Anjou, Charles Pires.

Tout commence deux mois avant. Après 4 ans sur Angers pour ses études où il se politise, Charles vient à Cholet dans l’espoir de continuer sur sa lancée et de devenir inspecteur du travail. Parallèlement, il est actif sur un serveur Discord : La Nouvelle Commune. Car avant d’être le nom d'une véritable association, ce titre revenait à un parti politique fictif, né d’une simulation parlementaire sur la même plateforme. A la base, LNC, ce sont des anonymes en ligne s’amusant à la politique. Puis, à force de théoriser pour de faux, de jouer ensemble en ligne et de refaire le monde, l’envie de faire converger ces mêmes efforts pour un projet réel, concret, est venu naturellement. C’est donc sur ce serveur Discord que vient l’idée de La Nouvelle Commune, l’association. Un groupe de jeunes s'étant formés politiquement de leur côté, ne s'étant jamais rencontrés en vrai, s’associent le 19 septembre 2024, officiellement à Cholet. Si LNC est une confédération internationale, c’est parce que les différents membres fondateurs sont éparpillés en France, mais aussi en Belgique ou encore au Québec. Tous se sont rencontrés en ligne. Et c’est cette donnée qui façonne la structure, la méthode et l’identité de l’association : elle est le produit d’une socialisation numérique. Elle privilégie les posts en ligne aux collages d’affiches. La discussion théorique aux préparations d'actions. La multiplicité des idéologies à l’établissement d’une ligne politique unifiée.

Si son manque d’implantation locale peut être excusée par sa jeunesse, l’association fait surtout face à un détachement intrinsèque par rapport au “terrain”. Même leur projet de participation aux municipales de 2026 tient plus de la communication plutôt qu'une  volonté d’intégration à la politique locale. Une stratégie inspirée du “possibilisme” selon une conversation dans leur serveur : utiliser les institutions établies pour parler de son projet révolutionnaire. Une stratégie comparable à celle de Lutte Ouvrière. Cependant, cette dernière  est bien intégrée dans le militantisme local, notamment sur Cholet et sa relation avec CGT - Michelin. Quid de Cholet ? Après trois mois sur place, Charles se rend compte que sa réorientation étudiante ne porte pas ses fruits, et retourne sur Angers. Avec lui, c’est la présence de la Nouvelle Commune sur place qui disparaît. Malgré une discussion unique avec un syndicaliste choletais, LNC ne laisse rien derrière lui, se reposant sur des personnes connectées plutôt qu’à des structures territorialisées. Sur Cholet, la Nouvelle Commune, c’était Charles Pires.

Affiche de la Nouvelle Commune

Le trône vacant de l’Action Française - Cholet


Dans un coin de rue sur la route de l'église du Sacré-cœur, il est courant de voir des gens discuter en sortant du Bar des amis. Le bar à vins accueille une clientèle bien habillée. Le soir, les tables hautes sont garnies de plateaux de charcuterie. Les bouteilles de vin trônent au milieu des convives. C’est sûrement cette ambiance chiquement franchouillarde qui a fait de cet établissement un lieu de rendez-vous prisé par Liam Bouché. Liam, on a pu le voir dans l’Ouest France, aux côtés d’un responsable de l’Action Française (AF), ou même du maire de Cholet alors en pleine campagne pour les législatives. Liam, c’est l’ancien chef de la section choletaise de l’AF, et aussi le dernier.


Portrait de Charles Maurras

Ce mouvement royaliste, se revendiquant de l’orléanisme, a pour doctrine le nationalisme intégral de Charles Maurras. C’est la vieille réaction contre-révolutionnaire remise au goût du jour, et pour certains membres un moyen d’attaquer la démocratie libérale plutôt que de véritablement restaurer la monarchie. C’était le cas de Morgan, ancien membre de la section choletaise. Morgan est, comme Liam, étudiant en fac de droit. C’est là qu'ils se sont rencontrés et rapprochés. “C’était plus les liens de sociabilité qui nous unissaient, plus que les idées. [Même si] les idées politiques rapprochent les gens.” Quand on lui demande où il se situe politiquement aujourd'hui, Morgan nous répond : “la droite pragmatique”. S’il rejoint la section choletaise de l’AF lors de sa création, suite à des discussions avec Liam, il pense que c’était plus pour “ouvrir la fenêtre d’Overton” (c’est-à-dire rendre acceptable des discours plus marginaux, ici plus à droite, dans le débat public), que par ambition royaliste.

Sa pratique militante n'en restait pas moins une source de fierté face à ses amis. L’AF permettait à ceux ne se reconnaissant pas à droite de se retrouver, ceux qui ne voient dans le RN qu'un vote utile. L’extrême-droite radicale.

L’AF-Cholet, ce sont des collages d’affiches durant les présidentielles de 2022. Ce sont aussi des stickers avec le lys sur fond bleu ou “STOP IMMIGRATION" qu’on pouvait voir collés sur les lampadaires de la ville. C’est aussi la perturbation de la soirée de lancement de la liste de la NUPES (lien Ouest France).


Mais ce qui a marqué Morgan, c’est un séjour à Paris, à l’occasion de la marche commémorant la mort de Jeanne d’Arc. Là, il a pu assister à des conférences au QG de l’Action Française, et discuter avec d'autres militants. “Des gens perdus”, selon lui. Il prend l’exemple d’une jeune de 16 ans venue seule sur Paris depuis le Sud de la France.  “Elle n’avait pas d’avis sur rien, c’était plus pour rencontrer des gens… des lieux de sociabilisation.” Pour Morgan, l’engagement politique des choletais est assez discret. Là où il peut y avoir des confrontations dans des villes comme Angers, à Cholet, il n’y a que peu d’animosité affichée. Il retiendra de son expérience la découverte de la “nature humaine”. Et il pense que l'échec de l’AF-Cholet, c’est l’échec de la droite n’ayant pas dépassé l’effet de mode, comme l’a été la gauche avant. Parfois, autour de lui, c’était être “à droite pour être à droite”, avec une surenchère de propositions peu réalistes. Au centre de ce cercle de sociabilité qu'était l’AF-Cholet trônait Liam. C’était lui qui s'occupait de tout. Parmi la vingtaine de sympathisants sur Cholet, dont une dizaine qui étaient actifs, la plupart ont rejoint la section par le biais de Liam. Certains le connaissaient depuis le lycée. Les contacts avec le reste de l’organisation, c’est lui qui les gardait. L’ambition et l’initiative des actions, c’est lui qui les incarnait.

Sticker de l'action française

Il était le mieux formé idéologiquement, le “moteur de l'opération”. Mais la section de Cholet ne suffisait plus pour celui qui avait “rixé avec des militants de gauche” dans des plus grandes villes. Alors que Liam redouble son année de licence, Morgan perd le contact avec lui. La section finit par devenir inactive. L’ancien chef de l’AF-Cholet rejoint des groupes identitaires plus importants en dehors de Cholet. Morgan, quant à lui, termine sa licence pour devenir un “adulte responsable”. Et la vie continue.


JR, les jeunes résignés



Logo des Jeunes Révolutionnaires

JR pour Jeunes Révolutionnaires. L’organisation d'extrême gauche est un cadre organisationnel visant à la formation de… jeunes révolutionnaires. Jusque là, rien de sorcier. Bien que reprenant des termes maoïstes tels que la "guerre populaire prolongée", elle se revendique comme simplement révolutionnaire. JR adopte pourtant bien les codes d’un marxisme-léninisme orthodoxe, misant sur la rigueur et la discipline. Elle prend au sérieux son ambition. La cellule de Cholet se réclamait quant à elle clairement maoïste. Et aux dires de ses membres, l’ambiance y était déjà plus relâchée. Place Travot. Autour du petit cœur du centre de Cholet, la terrasse du Conti fait partie des établissements prisés par les citadins. C’est à l’intérieur du bar, autour de la même table ayant vu naître la cellule des Jeunes Révolutionnaires de Cholet, que je retrouve les deux anciens membres de son noyau : Loïc et Arthur (les noms ont été changés à la demande des concernés).


Le cadre branché ne paraît pas à première vue correspondre à la création d’un tel groupe. Seule une petite statue de Mao Zedong repose ironiquement au milieu de la déco, à côté d’un beau “LOVE”. Loïc rassure : lui et les autres acteurs de la création de la cellule avaient mangé à un kebab juste avant. C’est à son retour de Rennes que Loïc, avec un premier camarade, crée le noyau de Cholet pour la première fois. Ils sont encadrés par d’autres membres de la section rennaise. Mais cela n’aboutira qu’à un collage d’affiches au quartier de Bretagne alors que l’autre partisan choletais ne s'impliquera pas du tout dans l'activité militante, ne voyant en JR qu’une revendication de radicalité, selon Loïc. Ce n’est véritablement qu’avec les manifestations contre la réforme des retraites en avril 2023 que la cellule devient vraiment active. Loïc est cette fois accompagné d’Arthur. Les deux sont amis de longue date. C’est Loïc qui s’est occupé, au détour de conversations politiques amicales, de la formation militante de son camarade en devenir.


Tract des Jeunes Révolutionnaires
JR-Cholet renaît alors dans l’effervescence de la contestation sociale et les actions des deux militants s’enchaînent: collages, tractages au lycée Renaudeau, participation aux blocages lycéens et interventions au sein de l’intersyndicale. Le noyau projette même de recruter parmi les portes-paroles lycéens de Renaudeau. Leur approche cependant trop directe en rebute plus d’un, trahissant leur manque de préparation. Mais durant l’été, les manifestations s'essoufflent déjà. Le petit foyer de JR ne prend pas à Cholet, malgré l'étincelle de la réforme des retraites. S’il y avait bien un projet de tractage à la rentrée scolaire, Loïc quitte définitivement JR pour des raisons personnelles et, à l’époque, une rupture idéologique. Arthur a alors l’intention de maintenir la cellule active, mais les liens avec les cadres de JR venaient bien de Loïc. Il réussit bien à contacter un autre membre… sans suite. L’isolation et le déroulement de la vie font qu’en novembre 2023, il ne restera plus rien de JR-Cholet. “Les gens s’en foutent, ils ont l’impression que la politique c’est juste un concours de coqs.”  De l’expérience militante, c’est Loïc qui en garde le plus un goût amer. S’il en déduit qu’il n’est finalement pas fait pour ça, il s’en prend aussi à Cholet.

Arthur, lui, retient la frustration. Celle de voir qu’une “période révolutionnaire forte” n’aboutit sur aucune mobilisation à froid. Le pic de colère est passé, et Cholet retourne vaquer à ses occupations quotidiennes. Il trouve cependant l'expérience “ultra enrichissante”, comme une école de la vie.

“Avec du recul, militer n’est pas la meilleure façon de faire sur Cholet.”

“On ne peut pas militer sur Cholet” rétorque Loïc.  


Une ville moyenne à l'écart des mobilisations politiques




Manifestation contre la réforme des retraites, Cholet

Deux motivations se dégagent du jeune militant de marge : la volonté de s’investir dans une cause et les liens sociaux avec les autres militants. Une relation de verticalité, en servant un dessein politique, et une d’horizontalité avec des camarades étant ou devenant des amis. Mais les trois tentatives d’implanter une organisation politique marginale sur Cholet se sont portées infructueuses. Dans les trois cas, un jeune protagoniste, épicentre de la section, prend l’initiative. Mais Cholet ne permet pas de prendre racines, et la vie fait que le jeune leader change de voie. Il laisse derrière lui, au mieux, des militants en herbe qui l’avaient pour seule référence ou, au pire, rien du tout. Et le flambeau finit par s’éteindre dans une ville n’apportant pas grand chose pour le maintenir. Car Cholet est bien désertée par la politique. C’est un terreau difficile pour le militantisme, et pas seulement de marge. Comme les autres villes de sa taille, on peut dire qu’elle est dépolitisée. Sans sa propre tradition militante, elle ne bouge que pour les plus grosses contestations sociales, alors que la majorité des mobilisations politiques sont déportées sur Angers.

À Cholet, certains étudiants s’emplissent d’une ambition, celle de convaincre et mobiliser les choletais. Mais la tâche de politiser la ville est bien trop lourde pour quelques paires d’épaules, et le désengagement pour la politique lui semble presque intrinsèque. Quand la France est secouée par un séisme social, Cholet ne reçoit que quelques répliques, et pas grand chose n’en ressort bouleversé. Le militantisme de marge ne s’en déroge pas.