Derrière les grilles d'un bloquage étudiant
Au milieu de la foule, entre poubelles et visages masqués, comment se déroule un blocage étudiant ? 25 septembre 2025, campus Censive et Tertre de l’université de Nantes : bref récit d’une journée dans une fac à l’arrêt.
A 7h30, devant le campus de Tertre, les étudiants venus en cours s’attroupent. Ceux participant au blocage gardent les entrées de bâtiments, devant les barricades improvisées, engageant la conversation avec les curieux ou les fâchés. « Je comprends votre colère » mais « on veut réussir notre année !». D’une voix qui porte, un étudiant éclate face aux bloqueurs. Ils sont trois devant l'une des entrées de la faculté de sciences humaines et sociales. Derrière eux, au-dessus de trois poubelles couchées devant le rideau métallique de l’entrée, la pancarte affichant : « Nos voix résonnent plus fort que vos interdits ». Pour deux des bloqueurs, c’est le premier blocage auquel ils participent.

Face aux colères : « on ne sait pas quoi répondre, on n’est pas dans le même combat. […] Je conçois qu’on fait chier les étudiants, mais c’est le seul moyen de se faire entendre. », alors qu’ils rappellent l’existence des outils en ligne pour étudier à distance.
Ce jeudi de septembre, une certaine tension s’ajoute au froid matinal. Alors qu’un nouveau règlement intérieur de la faculté sera prochainement voté (le 17 octobre), les assemblées générales étudiantes seront requises de se déclarer deux mois antérieurement. Autant dire que pour les militants, cette décision rime avec interdiction. Celle à peine cachée de telles réunions, s’organisant rarement autant à l’avance. Ainsi, le lundi, neuf camionnettes de police ont débarqué pour déloger une assemblée générale étudiante non déclarée, celle du collectif Grève Nantes. Le lendemain, la présidence de l’université, avec le préfet, a ordonné l’évacuation des bâtiments de facultés. Sans que personne ne sache, d’abord, vraiment pourquoi. Parmi les étudiants, toute sorte de rumeurs se répandent, certains allant jusqu’à parler d’émeutes. Finalement, ça aura été une intrusion dans des bureaux par des étudiants et un tag provocateur qui auront amené à manquer une journée de cours. Alors, après ce blocage, on s’attend à tout. Pourtant, une seule Peugeot 5008 de la police nationale effectue des rondes dans le campus, par précaution. Une troisième réaction choc de la semaine aurait pu confirmer les accusations d’acharnement.
Devant le bâtiment de droit, même histoire. Les bloqueurs sont cependant bien plus nombreux, s’attendant peut-être à une plus grande résistance. Deux étudiantes exclament qu’elles sont « saoulées » par les blocages, les bloqueurs ne leur prêtent pas trop d’attention. Parmi eux, la jeune femme à lunettes et le barbu expérimentés croisés plus tôt. Tout en restant poli, ils refusent les questions de la presse. L’un d’ailleurs paraît âgé pour être étudiant. Un bloqueur quant à lui accepte. Lui aussi, c’est la première fois qu’il fait ça. Se sentant aussi touché par les coupes budgétaires de la fac, il rejoint l’appel au blocage lancé sur les réseaux sociaux pour dénoncer la précarité étudiante. Un autre, keffieh palestinien enroulé autour de son visage, milite depuis le 10 septembre et le mouvement « Bloquons tout ». Il a participé à des assemblées générales. Mais, pareillement, c’est son premier blocage.

L’évacuation de la fac a pour eux représenter un vrai risque. La masse d’étudiants agglutinée dans le campus rendant le tout « un peu angoissant ».
A 8h30, les bloqueurs, étudiants et curieux se réunissent en assemblée générale face au pôle étudiant. Une centaine de personnes sont réunies, la moitié assise en cercle, les autres se tenant debout autour d’eux. L’ordre du jour est le rapport de force avec la présidence de l’université. On appelle à se réunir le lendemain matin face à son siège, situé quai de Tourville. Au bord de la Loire, bien loin du campus. C’est alors qu’un homme malvoyant s’avance et prend la parole. Il se lance dans une longue tirade contre la tenue de blocus de facs. Présent il y a de cela 10 ans sur ce même campus, lors d’un blocus et d’une évacuation des lieux, il se serait retrouvé coincé derrière une porte coupe-feu, secouru alors par des ouvriers présents sur place. Bien que politisé, il présente aux étudiants leur action comme inutile, mais se dit prêt à participer au rassemblement face à la présidence pour affirmer sa bonne foi. Suite à cette longue adresse, une étudiante répond : elle assure qu’ils feront attention à ce qu’un tel incident ne se reproduise pas. Elle reconnaît que le blocage d’aujourd’hui n’est pas une solution parfaite, mais « on est là, et on ira à la présidence demain ». La suite des discussions tournent autour de la communication avec le reste des étudiants. Alors que la plupart sont ignorants du vote du nouveau règlement intérieur, beaucoup se braquent face aux blocages, voyant leurs cours en début d’années annulés. On parle de s’organiser en comités pour la suite des actions, et de tractages pour sensibiliser le reste de la fac.
Au milieu des prises de paroles, une correspondante pour l’Ouest France, parmi les personnes debout, prend une photo avec son téléphone. Un homme masqué l’interpelle : sans demande d’autorisation, il lui demande de la supprimer. Une des porte-parole rajoute : l’Ouest-France, c’est un relais de communication étatique, et ici, on ne veut pas apparaître sur ses photos. L’homme malvoyant vient vers la journaliste par la suite, voyant en elle une autre personne mise à l’écart de la majorité. Et puis, l’assemblée finit par s’éclater. Certains se rejoignent pour rédiger le tract. Les autres s’éparpillent, prenant le tramway pour rentrer chez eux. Alors, cette rentrée universitaire sur Nantes aura été parcourue de jeudis aussi bien militants que festifs, entre blocages, grèves d’enseignants et cortèges de manifestants. Enfin, pour les campus de Lettres et de Sciences Humaines et Sociales, en tout cas.